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La fabuleuse histoire d’Esméralda dansant avec sa chèvre… suite et fin.


La fabuleuse histoire d’Esméralda dansant avec sa chèvre… suite et fin.

Donc, dans l’existence d’Esméralda le drame survint le 31 décembre 1908, au douxième coup frappé à l’horloge comtoise. Dix années plus tôt, Saint-Siméon avait pleuré les disparitions quasi simultanées de Marguerite et de Pierrot. Adélaïde avait fait en sorte de leur trouver des remplaçants dignes d’eux. Juju (que l’on continuait d’appeler " Juju ", malgré son âge), son épouse et leur fils s’étaient installés dans l’aile nord du manoir. Ses activités l’éloignaient régulièrement de la Normandie, mais chaque départ était précédé d’un long tête-à-tête avec Esméralda, et les retours fêtés comme jadis sous le hêtre.

Cette nuit là donc, la vingtaine de convives entrechoquaient les flûtes à champagne autour de la table, lorsque le vieux Martin fit une entrée sonore et trébuchante dans la salle à manger, les bras au ciel.

" Mademoiselle ! Venez vite, Mademoiselle ! Oh ! Quel malheur, Mademoiselle… ".

Les années n’avaient qu’à peine entamé Adélaïde ; sa longue chevelure or d’antan se portait à présent en chignon blanchi et ses gestes avaient pris l’élégance de la pondération, voire de la sagesse. Si l’affolement de Martin l’inquiétait, elle n’en fit rien paraître. Elle le pria d’abord de se calmer, le fit asseoir, et le pria de s’expliquer.

" J’étais en train de préparer le grand salon pour la veillée. Une fois les chandeliers allumés, je suis allé à la réserve de bois, et à mon retour… Oh ! Mon dieu ! Mon dieu…

- Explique toi, dit Adélaïde, de sa voix apaisante.

- Je ne peux pas. Non, je ne peux pas. Venez au grand salon… Venez voir… "

Martin se leva et pria Mademoiselle de le suivre. Et tout le monde, Juju en tête, suivit.

" Là ! Vous voyez ! "

Les murs étaient nus comme les mains d’un mendigot. Aucune des œuvres n’avait réchappé au larcin. En moins de cinq minutes, la galerie avait été dépossédée de son âme.

" Et vous n’avez pas tout vu ! lança Martin. Tenez ! Regardez ! "

Il pointait du doigt le clou d’or qui servait d’accroche à Esméralda. Un petit carton blanc y avait été laissé. Juju fut le plus prompt. C’était une carte de visite, dont il prit d’abord connaissance d’un vif coup d’œil, puis en fit la lecture, à voix haute et chevrotante.

" Mademoiselle Adelaïde, j’ai eu l’honneur et le plaisir à deux reprises d’être votre hôte, et je ne saurez vous dire à quel point votre table et votre amabilité sont délicieuses. Vous me penserez le pire des goujats pour m’être servi dans votre galerie, je vous prie de croire que ma visite est un honneur rendu à votre goût. N’ayant pu me résoudre à faire un choix draconien, j’ai emporté l’ensemble des excellentes œuvres de votre collection. Surtout ne tenez aucune rigueur à votre cocher, quelle qu’attention supplémentaire eût-il eu, je n’aurai pas manqué de la déjouer. Soyez certaine que je m’en veux pour mon geste. Consolez-vous en songeant que vos tableaux feront le bonheur d’autres passionnés. Votre dévoué. Arsène Lupin. "

La signature suffisait à faire craindre le pire. Celui qu’on nommait " le gentleman-cambrioleur " n’avait-il pas dérobé le collier de la reine Marie-Antoinette et le trésor du roi Dagobert en toute impunité, surtout sans que l’on n’ait pu remettre la main sur les merveilles volées ? Le coup semblait mortel. Effondrée dans un fauteuil, Adélaïde se laissait réconforter par Juju, qui lui assurait qu’il ferait l’impossible pour retrouver les tableaux, jusqu’à y vouer sa vie au besoin. Goûtant la générosité de son protégé, la vieille Demoiselle jugeait déjà de l’immensité de la tâche, prête également à donner sa vie.

De ce jour, la tristesse ayant envahi le manoir et l’énergie consacrée aux recherches, la colonie d'artistes qui avaient été régulièrement accueillis par Adélaïde cessa de solliciter sa porte. Si c'était la fin de la fabuleuse histoire de la ferme Saint-Siméon, les peintres ne cesseraient pas pour autant de fréquenter Honfleur et d'y faire École.

Après avoir été arraché à l’affection des leurs, Esméralda et ses congénères firent le voyage dans la malle arrière d’une De Dion Bouton biplace. La nuit était épaisse, la boue glacée des chemins n’arrangeait guère les affaires de Lupin et de son homme de main. De temps à autre, ce dernier descendait, et un falot à la main traçait à la marche la voie. Environ deux heures plus tard, le moteur se tut pour de bon et le reste du voyage se fit à pied ; Esméralda fut de la seconde navette. Sous l’épaisse toile qui le mettait à l’abri de quelqu’infortune, il entendait les pas de ses ravisseurs rouler sur les galets, et tout proche mollir un ressac. À un moment, la toile glissa ; de l’interstice Esméralda aperçut à quarante ou cinquante mètres une arche imposante s'élançant du haut de la falaise. Il reconnut immédiatement l’endroit, l’un de ses compagnons de Saint-Siméon était la représentation exacte de ce que Mademoiselle appelait : La Porte d’Aval. De l’angle où il apercevait l’arche, Esméralda déduisait qu’il se trouvait très exactement au pied du cône calcaire, dit " l’Aiguille ".

Combien de temps Esméralda resta-t-il prisonnier de cette antre obscure, humide et bruyante ? Un unique jour eut été de trop. Parfois, un homme à la moustache peignée, le monocle sûr, survenait, et sans un mot repartait, un ou deux tableaux sous le bras. Le nôtre fut le dernier à revoir un clair de lune.

Dès lors, les propriétaires et les mésaventures d’Esméralda vont se multiplier, avec des périodes d’oubli plus ou moins prolongées. Après l’épisode de l’escapade nocturne, on lui fit traverser la Manche pour un séjour de cinq années au Château de Leeds, propriété de Lady Baillie. Sans doute l'une des plus belles demeures d'Angleterre, le château accueillait les grands politiciens, les ambassadeurs ou les familles royales du monde entier. Mais les grands de ce monde, versés dans les mondanités et les intrigues, ne prêtaient guère d’attention au décor. Esméralda y faillit mourir d’ennui. En 1933, il fut aperçu à la page 69 du catalogue des ventes du bureau Londonien de Christie’s. L’année suivante, il quittait les sous-sols du Louvre où étaient stockées les réserves d’œuvres d’art, pour y revenir six mois plus tard ; la Préfecture de Paris ayant prévu le débordement de la Seine. 1940 : 600 camions quittaient la capitale et fonçaient vers le sud de la France, pleins à craquer des collections du grand musée, pour les protéger de l’occupant. Tandis qu’ayant fait une halte forcée pour réparer un pneu éclaté, l’un des camions eut maille à partir avec un avion de la chasse ennemie, cherchant son chemin vers sa base d’attache. Les quatre roues en l’air, le camion sema dans le fossé une vingtaine de caisses plus ou moins éventrées et brûlées. À la nuit tombée, un vieux paysan rentrant du champ ramassa l’un des rares tableaux épargnés du massacre : Esméralda. De crainte d’être pris la main dans le sac, il le fourra sous la paille du grenier de l’étable, histoire que l’affaire se tasse. Il était dit que l’étoile d’Esméralda ne brillerait plus. Quelques semaines plus tard, le paysan au côté de quatre autres otages essuyait la salve du peloton qui les clouait à jamais au mur de la mairie du village voisin.

À cinq jours de la libération de Paris, un détachement de la colonne Leclerc faisait une halte dans la cour de la ferme abandonnée où notre tableau étouffait sous la poussière. Les soldats prenaient quelques heures de repos, précédant la bataille. Le canonnier du " Navarre " tentait de trouver sa position de dormeur, étendu sur la paille du grenier de l’étable. Mais à chacun de ses mouvements, sa tête butait contre un angle dur ; il brassa la paille et sa main se heurta au tableau… Voici pourquoi et comment Esméralda fit la route qui le ramenait vers la capitale, coincé contre le siège d’un dénommé Langlois, à bord d’un Sherman M4A2. Avant de s’engager dans les forces françaises libres, Langlois n’était autre que le fils d’un célèbre antiquaire de la rue Matignon.

Le fils avait l’œil, le père le sens des affaires et surtout, surtout la mémoire d’un éléphant d’Afrique. Sitôt en possession du trésor de guerre, il était allé fouiner parmi de fortes anciennes revues, manière d’avoir la confirmation de ce qu’il savait. Il finit par mettre la main sur celle relatant le Salon de 1864 ; aucun doute : l’Esméralda dansant avec sa chèvre qu’il tenait entre ses mains était soit une copie de très belle facture, soit un mort ressuscité ; son auteur, Pierre-Auguste Renoir, l’avait, ne disait-on pas, détruit sitôt la fin du Salon. L’antiquaire fit jouer ses relations et proposa le tableau à quelques experts. Résultat : l’œuvre était un vrai Renoir ; la signature maladroitement masquée ne pouvait signifier qu’une volonté de renonciation de parternité.

En 1946 et pour la seconde fois de son histoire, Esméralda posa pour la postérité dans les pages du catalogue de Christie’s ; mais à tout seigneur tout honneur : en page une. Tandis que le monde pansait les plaies qu’une barbarie inqualifiable lui avait infligé, les collectionneurs de trois continents s’étaient donné rendez-vous à Londres. Une heure d’enchères et quelques zéros avant la virgule plus tard, un huissier emportait Esméralda dans la pénombre d’une arrière-salle, pour le confier ensuite à une silhouette aux allures de sbire. Prisonnier d’une gangue protectrice, le tableau fut assis sur la banquette arrière d’une limousine… dont on aura perdu la trace six cent mètres plus loin, à la faveur d’un embrouillamini circulatoire.

Plus d’un demi siècle après, Esméralda n’était toujours pas réapparu.

Anne-Marie n’avait pas eu à programmer le réveil. Le calendrier avait beau marqué " Lundi ", dans la vie présente de cette femme c’était semblable à un dimanche matin ; et pour une semaine encore, chaque jour allait être un matin de vacances, sans obligation, sans peine. À cinquante sept ans, Anne-Marie n’avait jamais eu une existence vraiment difficile. Mais depuis la mort de son père, dont elle avait toujours partagé l’existence, elle demeurait seule dans la petite maison de la rue du Trompe-l’Œil, faisait face aux nécessités grâce à des ménages et divers travaux domestiques à la Ferme Saint-Siméon, un hôtel-restaurant en bor de mer, à Honfleur.

Sa vie durant, le père d’Anne-Marie n’avait eu de cesse de courir le monde à la recherche d’un tableau ; époux d’une femme qui, lasse et incapable de comprendre cet entêtement, l’avait quitté une dizaine d’années après leur union, pour la compagnie d’une vedette hollywoodienne… à courir le monde, autant valait-il que ce fut de yachts en palaces. L’affection qu’une mère n’avait pas su lui donner, Anne-Marie l’avait eu sans réserve d’un père fut-il maladroit, et surtout du grand-père Juju, un tantinet aventurier. Elle ne l’avait que très peu connu, le grand-père, mais se souvenait parfaitement du vieux bonhomme, l’âme possédée par le désir de retrouver ce certain tableau. Une obstination filiale, comme un serment passé de génération en génération. Ni le père ni la fille n’avaient jamais vu de leurs yeux vu le tableau, mais le grand-père Juju l’avait maintes fois décrit à son fils, lequel en avait tant et tant parlé à son tour, qu’Anne-Marie avait la sensation de l’avoir toujours eu près d’elle. Jusque sur son lit de mort, où il lui fit jurer de poursuivre la quête, tout en lui faisant le cadeau d’une page arrachée à un vieux catalogue : la photographie d’Esméralda, à l’occasion de la vente chez Christie’s, en 1946.

L’émotion fut grande, si forte qu’elle atténua le chagrin du deuil.

Jamais Anne-Marie ne baissa les bras, quand bien même elle n’avait trouvé la moindre piste. De temps en temps elle sortait du tiroir la photographie du tableau, se perdait en contemplation, et plus que par promesse elle désirait le retrouver, sans comprendre, pour la force, le plaisir de vivre qu’il lui procurait. Or deux difficultés majeures, insurmontables, l’empêchaient de croire vraiment en son bonheur de voir jamais le tableau… C’est alors que la chance sourit à Anne-Marie, tir groupé : les journaux télévisés annonçaient la vente prochaine à l’Hôtel Drouot d’un Renoir, Esméralda dansant avec sa chèvre, qu’un collectionneur annonyme avait secrètement tenu enfermé dans un coffre depuis plus d’un demi siècle ; dans la poche de son tablier, Anne-Marie détenait le ticket gagnant du gros lot de la Loterie Nationale.

Le mardi, deuxième jour de congé, Anne-Marie ne quitta pas l’appartement. Elle avait posé le téléphone sur la table à manger, s’était assise à la table, et n’en bougea plus. De crainte de n’être point à la hauteur de l’événement, elle s’était attachée les services d’un commissionnaire qui d’heure en heure puis de minute en minute, la maintenait avertie de l’avancement de leur affaire. Il était 15 h 47 lorsque, sur l’ordre d’Anne-Marie, le commissionnaire porta la dernière enchère. À 15 h 48, Anne-Marie avait retrouvé Esméralda, et en devenait définitivement la propriétaire, quasi ruinée mais débordante de bonheur. Il fallait tromper le temps, il fallait occuper l’esprit ; la seule manière d’y parvenir fut avec la complicité du plumeau et du balai, qu’elle mania avec une grande frénésie. Non seulement elle calma ses nerfs mais fit en sorte que la maison fut irréprochable de propreté et d’ordre pour accueillir Esméralda. Un honneur à lui rendre. Lui qui s’était mortifié tant d’années dans un cul de basse fosse. Rien ne devait être épargné pour lui redonner le goût du genre humain. Un peu tard dans la soirée, la portière d’une voiture claqua à hauteur de la maison. Anne-Marie détacha à la hâte son tablier, refit de ses mains sa coiffure. On sonna à la porte. Elle alla ouvrir, tremblant sur ses jambes. Le commissionnaire, fier de son travail, lui tendit le tableau.

Le mercredi, troisième jour de congé, Anne-Marie était épuisée comme un lendemain de corvée. Elle avait passé toute la nuit en tête-à-tête avec Esméralda, lui parlant comme à un enfant qu’il fallait rassurer. Elle s’était d’abord excusée de son manquement à toute organisation, si elle l’avait posé en appui contre le dossier d’une chaise ce n’était que parce qu’elle n’avait pas songé à faire planter un clou solide dans l’un des murs de la salle à manger. Elle avait beaucoup parlé d’elle, de manière à ce qu’il comprit qui elle était. Puis elle lui avait raconté tous les efforts de son père pour le retrouver, de ceux du grand-père Juju… au seul mot, elle crut apercevoir dans les vernis du tableau une sorte de brillance, des couleurs qui refaisaient surface et qu’elle n’avait pas remarqué auparavant. Elle fit et dit tout ce qui se pouvait pour le convaincre qu’il n’était pas tombé entre de mauvaises mains.

Le jeudi, quatrième jour de congé d’Anne-Marie, Esméralda vit sa nouvelle amie venir vers lui avec un sourire plein de tendresse. Les rideaux, ouverts à souhait, laissaient entrer toute la lumière du soleil. Le tableau n’osa pas se plaindre ; après tant d’années passé dans la nuit, il supportait difficilement toute cette clarté. Accepter en silence, c’était rendre l’amitié qu’elle lui manifestait. Il l’entendit, au téléphone, solliciter la venue d’un bonhomme qui devrait se pencher sur les petits éclats dont avait souffert son cadre ; le cadre que Mademoiselle Adélaïde, jadis, avait choisi pour lui. Dans cette femme, Esméralda revoyait la douce et belle Adélaïde, celle qui lui avait offert une jeunesse dorée. Pour le coup, et depuis fort longtemps, il sentit l’espoir et le bonheur lui serrer la trame de sa toile.

Le vendredi, Esméralda entendit les bribes d’une conversation téléphonique. Anne-Marie parlait à voix presque basse, expliquait, argumentait, et à la fin obtint l’accord auquel elle semblait tant tenir. Après le déjeuner, ils sortirent pour une promenade. Elle l’avait prévenu d’une surprise à venir. Pour ne pas se trahir, elle n’était guère entrée dans les détails, mais l’entretenait tout en marchant pour le préparer au but de cette sortie. Elle serait sous peu une pauvre vieille femme, de peu d’intérêt pour une belle et grande œuvre d’art. De plus, dans la mesure où elle s’absentait de longues heures chaque jour, il risquait fort de s’ennuyer, seul dans la petite maison où personne ne viendait lui rendre visite.

" Tu comprends, disait-elle, je ne le fais pas de gaieté de cœur, mais c’est pour ton bien… Je sais que tu ne m’en voudras pas. Et puis comme cela, on se verra tous les jours. C’est là que je travaille. "

Lorsqu’ils furent rendus, Esméralda n’en crut pas ses yeux et faillit défaillir d’émotion. Jamais il n’aurait cru la chose possible, et pourtant il l’avait tant appeler de ses vœux dans les prières qui l’avaient accompagné tout au long de sa réclusion. Le grand frêne n’avait pas bougé d’une branche ; et la Ferme Saint-Siméon, comme si il venait de la quitter, si ce n’était la présence d’une terrasse, de tables et de chaises sur une pelouse face à l’entrée. Il retrouvait enfin sa Normandie. S’il en avait eu, il les aurait verser, les larmes du bonheur. Mais l’émotion fut à son comble quand ils pénétrèrent dans le grand salon. En un regard, le passé resurgissait : Mademoiselle Adélaïde, dans la bergère, Juju sur le pouf, qui retardaient le moment de le quitter ; Marguerite et son plumeau d’oie ; Martin, et ses gros doigts lorsqu’ils oscultaient son cadre. Un bonheur pareil ne devrait pas être permis !

Un couple bien mis les rejoignit et Anne-Marie fit les présentations. La discussion s’engagea et Esméralda tenta de comprendre. Il était question de l’installer à demeure dans le grand salon, mais à la condition de se défaire des posters et autres illustrations bon marché. Rien ne devait distraire le regard des visiteurs du manoir. Il serait interdit de fumer dans le grand salon, de crier et d’utiliser les flashs pour ne pas troubler la quiétude du tableau, et prendre toutes les précautions d’usage était un devoir vis à vis de celui-ci. Anne-Marie pourrait à sa volonté lui tenir compagnie, y compris ses jours de congé. En échange de quoi, elle acceptait que Saint-Siméon se servit de la notoriété nouvelle d’Esméralda pour asseoir sa promotion et attirer la clientèle.

À l’instar de Mademoiselle Adélaïde, Anne-Marie percevait toute la nécessité pour un tableau de n’être pas seulement un objet accroché au mur en guise de décoration. Il avait une âme, et plus il était en contact avec l’humain, dans un lieu de vie, plus on le respectait dans sa capacité à restituer les émotions de son créateur, davantage brillait cette âme. La rencontre avec une telle âme, un plaisir, un bonheur que le cœur généreux d’une dame voulut offrir au plus grand nombre. La compagnie d’amateurs, d’amis, voire de confidents qu’elle avait voulu pour Esméralda.

Le lundi suivant, Anne-Marie ferma à double tour la porte de la petite maison, descendit les deux marches, prit le trottoir de gauche. Elle allait au travail le cœur en fête. Un petit quart d’heure plus tard, Esméralda l’accueillit tout sourire. Et ils vécurent heureux, longtemps, longtemps…



Avertissement au lecteur : l’auteur n’a pas voulu faire œuvre d’historien et sait pertinemment la liberté prise vis à vis de certains noms et de certains lieux. Que chacun lui pardonne cette audace.






Artworks Media : Gouache