+ 1 (707) 877-4321
+ 33 977-198-888

Journal d'un TELien (31)


Journal d’un TELien (31)

Mardi 11 mai 2004.

Mes enfants, bien qu’aimant entendre les anecdotes, n’y ont jamais véritablement cru, tant elles leur paraissent d’un autre âge… et pourtant, sur leur tête, je les ai assuré plus de mille fois de la véracité de ce que j’ai connu à leur âge.

Mon grand-père était maréchal-ferrant, et j’allais souvent à l’école sur l’énorme croupe d’un Boulonnais. Chaque vendredi, le marchand de peaux de lapin passait prendre les peaux séchées et ma mère arrondissait les fins de mois en vendant aussi les plumes de la volaille. Le crémier ambulant proposait les yaourts à l’unité, le fromage blanc à la louche et le beurre salé à la motte. Le garde champêtre parcourait les rues du village, tambour battant, pour crier les annonces municipales. À l’école primaire, je portais un tablier gris, m’asseyais à un pupitre à la Topaze, trempais une vraie plume sergent-major dans un encrier en porcelaine blanche ; nous étions de corvée de poêle, qu’il fallait bourrer de boulets de charbon. J’ai appris à compter avec des bûchettes multicolores, et le bonnet d’âne était dévolu aux cancres. Le matin, à tour de rôle, mes sœurs, mon frère et moi allions chercher le lait à la ferme voisine, et la vieille Olympe nous faisait boire le lait encore chaud du pis de la vache. Nous prenions notre bain dans la grande lessiveuse, au beau milieu de la cuisine. À l’église, les femmes (fichu noué sous le menton) s’asseyaient dans la travée de gauche, les hommes dans celle de droite, et le curé déclamait ses liturgies en latin, dos au public. Nous gaulions les noix, cueillions les noisettes et les mûres, ramassions les pommes et les poires, au gré des saisons. Une fois l’an, un cirque ambulant faisait notre joie, et les manèges de la fête foraine étaient de véritables carroussels de chevaux de bois et de cochons roses. Tous les deux ans, l’armée s’installait dans les prairies alentours, et les chars et les canons et les camions en tous genres investissaient le village pour des manœuvres grandeur nature. Il fallait demander l’inter pour une communication téléphonique, au café de la place. Les caramels se vendaient à un centime la pièce. Et tous les mômes du village avaient pour ambition de décrocher leur certificat d’étude.

Je ne cultive guère de nostalgie imbécile ou morbide, et je ne conte pas aux oreilles de mes enfants ces quelques souvenirs du début des années soixante avec l’intention de clamer " Ah ! le bon vieux temps… ". Non, non… Mais peut-être qu’au travers de ces récits, je tente auprès d’eux le début d’une explication quant au choix (archaïque, selon eux) de mes outils de peintre. Des stylos, des pinceaux ; tandis que l’époque est à l’aérosol, à l’image de synthèse et à la vidéo. " Mais papa, pourquoi tu t’embêtes à passer des semaines et des mois sur un tableau, alors qu’il y a tant de nouvelles technologies qui te permettraient de faire dix tableaux en une journée ? "

De même que lorsque je peinais à porter le seau de charbon, j’appréciais d’autant plus la chaleur d’avoir suer à alimenter le poêle ; de même que j’ai été fier d’obtenir mon certificat d’étude, de même je suis fier d’avoir maîtrisé un à un les traits de couleur qui composent un tableau ; de même que j’aimais lécher la crème du lait frais et tiède sur mes lèvres, j’aime " gratter " mes Bristol ou la toile… enfin ! autre époque, autres mœurs ! Personnellement, j’aime mieux sentir le crottin de cheval que les vapeurs d’essence d’une mobylette…

 

ecrire
Ecrire une réponse dans le forum

 

Ecrivez votre impression
dans le livre des invités
de Dominique Boucher

 




Artworks Media : Gouache